Article au décès de François Delisle



MORT DU DOYEN DES ÉPICIERS DE NOTRE VILLE, M. F. DELISLE

Un des hommes d’affaires les mieux connus de Québec. — Il aurait eu 90 ans dans deux semaines. — Propriétaire de l’épicerie au coin des rues Scott et Plessis. — Au même poste depuis 69 ans.

FUNÉRAILLES JEUDI MATIN

Québec apprendra avec regret aujourd’hui la mort d’un de ses plus distingués citoyens, M. François Delisle, homme d’affaire (sic) bien connu et doyen des épiciers québécois, décédé hier soir vers 10 heures à sa résidence de la rue Scott.

Le défunt allait bientôt entrer dans la quatre-vingt dixième année de son âge étant né le 4 novembre 1841, dans la paroisse de Cap-Santé, à quelque 35 milles en haut de Québec. Il comptait donc exactement 89 ans et onze mois.

La mort de M. François Delisle enlève à l’affection d’une belle et grande famille un chef exemplaire, un parfait chrétien, un modeste serviteur de sa patrie, en un mot un citoyen dont la vie est remplie de bons exemples et qui jouit constamment du respect et de l’admiration des siens. Par son travail et sa persévérance, notre concitoyen s’est taillé une place enviable dans le monde des affaires, en dirigeant le poste commercial qui se trouve encore au coin des rues Scott et Plessis. Cet établissement atteste du succès qui attend dans la vie le travailleur persévérant qui sait mener une affaire à bonne fin par son dévouement constant et son honnêteté parfaite.

Il y a déjà 69 ans, M. Delisle recevait ses premiers clients dans ce poste commercial sis au même endroit aujourd’hui et qu’il a dirigé jusqu’à ses derniers moments. C’était exactement le 15 avril 1862, et le défunt venait d’entrer dans sa 21ème année. Les méthodes du commerce variaient quelque peu dans le temps avec celles qui prédominent dans les mêmes milieux actuellement. Laissons parler le débutant de 1862 dans le monde des affaires : « Dans ce temps, disait M. Delisle, au cours d’une fête donnée en son honneur il y a quelques années, les affaires n’étaient pas aussi florissantes qu’aujourd’hui. Je n’avais ni cheval, ni voiture, je vendais du foin en ballots et je devais aller le livrer moi-même. Mes meilleurs clients achetaient particulièrement des biscuits « Albert » de la cassonade à quinze sous. »

Comme on le voit par cette réminiscence, le commerce de l’épicerie était loin d’avoir dans le temps l’importance qu’il a acquise depuis. Pendant 69 ans, M. Delisle fut à son poste du matin au soir. C’est dire qu’il a vu défiler des générations de clients devant ce comptoir qui n’a pas même changé de place depuis. Dans son entourage, il ne comptait que des amis chez les vieux comme chez les jeunes et tous avaient pour lui le plus grand respect. Il y a quelques semaines, on ne le vit plus à son poste et les principaux clients de l’épicerie Delisle s’inquiétèrent de cette absence. On apprit ensuite que la maladie avait forcé le vénérable vieillard à se tenir en dehors des affaires, et partout la nouvelle causa beaucoup d’appréhension vu le grand âge du malade. Ces jours derniers la fin s’annonça comme prochaines, et ses forces abandonnèrent lentement ce vaillant lutteur qui venait de subir de si nombreux assauts de la maladie depuis quelques temps. Dans la journée d’hier, tous les membres de sa nombreuse famille furent prévenus et, vers dix heures hier soir, au moment où ils étaient tous à son chevet, il rendît son âme à Dieu, après avoir reçu les derniers secours de l’Église qu’il a toujours si bien servie.

Ce matin de bonne heure, une tenue de deuil fixée à la porte de l’épicerie Delisle, coin Scott et Plessis, annonçait aux paroissiens de St-Cœur de Marie et aux citoyens des rues voisines que le fondateur de cette maison si connue venait de décéder.

La nouvelle de la mort de ce vénérable octogénaire remet en mémoire de beaux et vieux souvenirs que ses amis ne manqueront pas d’évoquer aujourd’hui. Il y a quelques années, on fêtait le soixantième anniversaire de M. Delisle en affaires. Le Révérend Père Dagnaud, curé de St-Cœur de Marie, qui comptait dans ce citoyen un ami sincère, était à rappeler ses débuts dans le domaine de l’épicerie, lorsque le héros de la démonstration lui rappela qu’il s’était occupé de cordonnerie dans sa jeunesse. Le père Dagnaud ne se tint pas pour désemparé dans son discours. Il reprit sur un ton ironique « …vous avez dû alors trouver chaussure à votre pied ! » Cette répartie eut un vif succès et les convives ne l’ont pas encore oubliée.

Dans ce même discours, le curé de St-Cœur de Marie ajoutait encore en s’adressant à M. Delisle : « On vous a souhaité de vivre toujours. Ce sont des rêves d’enfants. Vous n’êtes pas encore vieux, mais vous êtes comme moi un peu âgé. Regardons le ciel ensemble, c’est notre patrie à tous. Tout de même je souhaite que vous viviez cent ans. »

Peu s’en est fallu que ce désir du dévoué curé de St-Cœur de Marie ne se réalisât, car M. Delisle allait entre bientôt dans sa quatre-vingt dixième année.

Sur les instances de ses concitoyens, le défunt avait été quelque peu mêlé à la vie publique. À deux reprises différentes, il fut élu conseiller par acclamation, mais il ne devait jamais se lancer dans les tourmentes électorales. Avant la fondation de Saint-Cœur de Marie, il était de la paroisse Saint-Jean-Baptiste, où il avait exercé la charge de marguillier.

Le défunt avait eu la douleur de perdre un de ses fils l’année dernière. M. Joseph Delisle une figure bien connue dans commerce de farine et de grain qui demeurait sur la rue St-Cyrille.

Feu M. François Delisle laisse pour pleurer sa perte trois fils : MM. J.A. Delisle, François Delisle jr. et Ernest Delisle et seize petits enfants Simone, François, Marcelle. Jean-Louis, Geneviève, Paul et Rolland, enfants de M. François Delisle ; Gabrielle, Raymond, Cécile, Claude, Conrad et Georgette, enfants de feu M. Joseph Delisle décédé l’année dernière ; Roger et Robert, fils de M. Ernest Delisle.

M. François Delisle avait épousé en 1866 Mlle Philomène Marois. Quatre fils et une fille naquirent de ce mariage : MM. J-A Delisle, François Delisle, Joseph Delisle, décédé, Ernest Delisle et Madame Ed. Côté décédée. Sa première épouse mourut en 1890. Il épousa dans la suite en deuxièmes noces Mlle Marie Genest et en troisièmes noces Mlle Léocadie Boutet qui l’a précédé dans la tombe il y a deux ans environ.

Les funérailles de François Delisle auront lieu jeudi de cette semaine en l’église paroissiale de St-Cœur de Marie. L’heure de la cérémonie funèbre n’a pas encore été arrêtée définitivement.

L’ « Action Catholique » prie la famille en deuil de bien vouloir accepter l’expression de ses plus sincères sympathies. [1]


[1L’Action Catholique, mardi 20 octobre 1931.