Le doyen des épiciers de la province



M. François Delisle, de Québec, tient une épicerie depuis 67 ans, au même endroit. [1]

Évolution

(Du correspondant de La Presse)

Québec, 14. - Parmi les maisons d’affaires de Québec qui font partie de la chaîne des Épiceries Victoria, l’une des plus remarquables est celle de M. François Delisle sise à l’encoignure des rues Scott et Plessis et qui date exactement de soixante-sept ans. Elle a été fondée par M. François Delisle lui-même, qui vit encore, qui est âgé de 88 ans, et qui est considéré comme le doyen des épiciers de la province de Québec

Monsieur Delisle est toujours alerte, jouissant de toutes ses facultés mentales et physiques. Tous les jours, il va à son épicerie qui est tenue par son fils, M. François Delisle, Jr. Mais le fondateur y jette encore l’oeil et le bon. Il se trouve à ce poste depuis, venons-nous de dire, soixante-sept ans.

Monsieur François Delisle a fondé cette maison alors qu’il était âgé de vingt-et-un an. Il était parti de Cap-Santé, comté de Portneuf, en 1854 à l’âge de 13 ans, pour venir "faire sa vie" à Québec. Il avait tout d’abord fréquenté l’école paroissiale et eut pour institutrice Mme Edwin Déry qui est morte, il y a à peu près un mois, au Cap-Rouge, à l’âge de 96 ans. Après avoir quitté l’école paroissiale de Cap-Santé et sa paroisse natale, il fréquenta à Québec les écoles du soir et acquit ainsi une bonne instruction élémentaire qui lui aida beaucoup dans la vie.

Le début des affaires

En arrivant à Québec, le jeune Délisle (sic) entre au service de M. J.-B. Richard, huissier du shérif d’alors, M. Muir. Puis il passa deux ans chez son oncle, un autre M. J.-B. Richard, qui était marchand de grains et cordonnier. Là le jeune Delisle apprît la cordonnerie. Mais il ne passa là que deux ans. Il crut qu’il était temps de travailler pour son compte. Avec la modique somme de $50 qu’il emprunta de ses parents, et quelques économies personnelles, il fonda l’épicerie qui existe encore aujourd’hui et qui a toujours été en excellente voie de prospérité grâce aux méthodes d’affaires strictement honnêtes que le fondateur mit en honneur dans son commerce ; grâce à son intégrité, à sa courtoisie qui lui attirèrent constamment des clients nouveaux et surent lui faire conserver toujours les anciens.

"En ce temps-là, nous disait M. Delisle, le commerce de l’épicerie était loin d’être aussi varié qu’il est devenu. On ne vendait, pour ainsi dire, que les produits de la ferme, beurre, pain, patates oeufs, et surtout du grain. Le quartier où j’avais établi ma maison fourmillait de cochers et de charretiers. Aussi avais-je pour spécialité le commerce du grain. Je l’achetais par centaines et par centaines de wagons dans les campagnes et le détaillais en ville.

Le commerce était prospère. C’est beaucoup plus tard qu’arrivèrent les conserves si générales aujourd’hui. Les premières conserves que je vendis à mon épicerie furent les tomates "Little Chief". Depuis on a fait du chemin de ce côté on le sait."

En 1861, M. Delisle épousait Mlle Philomène Marois dont il eut neuf enfants ; quatre sont vivants. Son épouse est morte il y a trente-neuf ans.

M. François Delisle éprouve une grande joie en exprimant que son épicerie n’a jamais changé de mains et qu’elle ne changera pas de sitôt vu qu’elle est en excellente posture entre celles de ses fils et, en particulier, venons-nous de dire, de M. François Delisle, son fils, qui en est à la direction depuis six ans. Formé à l’école de son père, M. Delisle, fils, a su conserver les saines traditions d’honneur et d’honnêteté qui ont fait la fase (sic) du succès de cette excellent maison québécoise.

En plusieurs circonstances, M. Delisle, père, a été appelé à occuper des fonctions importantes et honorifiques dans sa ville et il y a mis toutes les qualités qui le distinguaient dans son commerce. Il fut représentant de son quartier au conseil municipal en 1894. De 1870 à 1878 il est président de la section Saint-Jean de la Société Saint-Jean-Baptiste. En 1888, il était fait marguillier de sa paroisse. Il est encore directeur de la Société de Prêts et Placements.

Ajoutons que M. François Delisle est un citoyen intègre, universellement estimé de ses concitoyens. Sa verte vieillesse est le digne couronnement de sa vie de travail, de loyauté, d’honneur et d’honnêteté.


[1La Presse 1929-11-14