Soixante ans de vie commerciale



Monsieur Francois Delisle, de la rue Scott, est sûrement le doyen des épiciers de Québec, et il mérite bien que nous le classions parmi ceux de nos paroissiens dont le souvenir doit demeurer parmi nous. Ses enfants le lui ont dit, le dimanche 15 avril 1923, dans la soirée familiale qu’ils lui ont donnée, et ses petits enfants, dans des compliments bien à point l’ont félicité de sa belle et fructueuse carrière. Monsieur Delisle a 81 ans sonnés, et il y a soixante ans qu’il dirige dans la rue Scott son commerce d’épicerie. Il a rappelé que ses débuts avaient été modestes, et qu’il avait vraiment gravi à pas comptés la montée très rude de la vie.

Plus d’une fois le découragement avait frappé à sa porte ; il l’avait éconduit, sans prêter l’oreille à son glas de mort. Sa récompense, il la trouve surtout dans la couronne d’enfants et de petits enfants qui l’entouraient en ce moment. Il se félicite de voir aujourd’hui le commerce entre les mains de son fils François, et il espère que le petit François, troisième du nom succèdera plus tard à son père.

Remarquons bien que Monsieur François Delisle en cédant la direction, n’a point abandonné le magasin. Sa qualité d’octogénaire lui donne le droit de se lever le premier, et c’est lui qui ouvre, le matin, les portes. Les clients le voient toujours au comptoir comme autrefois et si les doigts tremblent légèrement en empaquetant les objets, l’œil est resté clair, l’ouïe fine et le sourire aussi franc qu’à vingt ans.

Le Père Curé a paru un moment, à la soirée, pour donner à son vénéré paroissien un témoignage de considération. Avant de se retirer, il a livré aux enfants le secret de la longévité et du succès de leur père. Après Dieu, notre vénéré jubilaire doit sa santé à la régularité et à la sobriété de sa vie ; il doit son succès à son honnêteté et à la constance de son travail.

Le lendemain matin, Monsieur François Delisle entouré de sa famille et de ses enfants assistait avec Madame Delisle à une messe d’action de grâces chantée par le Père Curé. La statue de la Ste Vierge bénite la veille au soir, était à deux pas du jubilaire, dans une auréole de lumière et de fleurs. Qu’Elle daigne bénir celui qui s’est souvenu, pour le remercier, de l’Auteur de tous les dons, et qu’Elle abrite ses derniers jours sous le manteau de sa maternelle protection. [1]


[1La paroisse du Saint Coeur de Marie, du berceau à ses dix ans. Souvenir de jubilé décennal, P.-M. Dagnaud, 1928, pp. 207-208